Brésil et Portugal : Musiques d’influence multiculturelle
Par Maria Inês Guimarães
Article paru dans la revue Latitudes-France
Depuis la colonisation du Brésil par les Portugais au XVIe siècle, les musiques luso brésiliennes s’influencent continuellement. Déjà pour l’un des premiers gestes de la colonisation, la musique était actrice : la messe chantée par les arrivants sur la terre brésilienne sème la graine de la musique européenne de l’autre côté de l’Atlantique. Avec l’esclavage et l’arrivée forcée des Africains, les principales sources de la musique actuelle brésilienne étaient alors réunies. Aussi à Lisbonne depuis la moitié du XVe siècle, la présence des noirs était significative et collaborait à la diversité des habitants de la capitale du royaume et à l’établissement d’un milieu extraordinairement riche d’expériences socioculturelles. Les rassemblements des noirs qui donnent lieu à des manifestations musicales sont souvent liés à la pratique religieuse, mais parfois ils sont organisés seulement pour les loisirs. Les batuques réunissent d’innombrables instruments à percussion et les ensembles ainsi formés constituent d’impressionnantes masses sonores qui gênent les classes dominantes et embarrassent beaucoup les autorités. Cependant ce n’est qu’au milieu du XVIIIe siècle que les échanges se font plus nombreux entre les classes sociales. Alors les musiques urbaines brésiliennes et portugaises sont fortement influencées par les musiques africaines. Les Africains étaient restés distancés par les blancs pendant une longue période pour des raisons diverses telles que le racisme et l’incommunicabilité de langage. Avec l’apparition d’une classe métisse qui jouait le rôle d’intermédiaire dans la société coloniale, le contact fréquent entre les musiques d’origines différentes devient plus courant dans les villes. Surtout au Brésil la densité urbaine des classes métisses permet l’éclosion, au XVIIIe siècle, d’un style de composition manifestement brésilien et d’une importance considérable pour l’histoire de l’art musical du pays. La présence de la cour à Rio pendant treize années à partir de 1808 provoque une certaine effervescence dans la ville qui est passée, en quelques années, de 60 000 à 150 000 habitants. En 1822, le pays est indépendant, mais garde une vie de cour avec la présence d’un empereur qui est en réalité portugais. Pendant la deuxième moitié du XIXe siècle, cette ambiance particulière qui singularise la vie culturelle de la ville de Rio ne fait qu’augmenter. Les activités musicales de la cour et des salons de l’aristocratie permettent aux rythmes européens de devenir très prisés dans les salons de la ville tout en se mélangeant avec les rythmes afro-brésiliens. Les pièces de salon Polkas, Valses, Scottish, commencent à être jouées de manières différentes sous l’influence des syncopes systématiques des rythmes africains et de la danse espagnole Fandango. Le mouvement des corps dans la danse déforme les rythmes et donne naissance aux musiques luso brésiliennes. Citons quelques genres qui ont eu une force historique. Au Brésil : Fofa, Lundu, Modinha, Fado dansé et plus tard le Maxixe, le Choro qui ont précédé la Samba et la Bossa-Nova. Au Portugal : Flechas, Gandu, Bacolá, Cumbê, Sarambeque, Moda, Fado batido et Fado chanté. Et certains de ces genres se sont développés avec force des deux côtés de l’Atlantique.
Le Choro, la Modinha et le Fado : parmi les genres issus de ce brassage racial résultat de la colonisation portugaise trois nous intéressent particulièrement pour leur longévité et une certaine parenté dans le choix des instruments utilisés : surtout des cordes pincées. La Modinha, le Choro, et le Fado sont des genres qui ont su garder leurs caractéristiques et leur fraîcheur. Encore de nos jours des compositions nouvelles et des interprètes passionnés viennent enrichir le répertoire de ces trois genres classiques du monde musical luso brésilien.
Les Modinhas, originaires du XVIIIe siècle sont, pour la plupart, des chansons d’amour, mélancoliques, dont l’accompagnement est assuré par un instrument à cordes pincées. Le genre résulte d’une transformation de chansons d’origine européenne et d’une manière brésilienne d’écrire les paroles et de chanter. Le texte est la genèse de la création. Ainsi, en citant Mozart de Araújo, trouvons-nous dans les Modinhas la première expression artistique exportée par le Brésil vers l’Europe. Très répandu aussi au Portugal le genre s’y est installé et a été l’un des ingrédients essentiels de la vie musicale portugaise : après avoir, dans un premier temps, influencé leur apparition, les Portugais étaient enivrés par ces airs si lyriques venus de la colonie.
Le Fado, genre typiquement portugais, a été d’abord danse au Brésil à la fin du XVIIIe, puis chanson populaire à Lisbonne et s’est répandu au Portugal jusqu’à devenir la chanson sentimentale finalement internationalisée par le charisme de Amália Rodrigues. Sa force est intacte et le Fado est toujours l’une des plus fortes représentations culturelles du pays ibérique. Les instruments à cordes sont aussi les plus prisés.
Le Choro a surgi plus tard vers la fin du XIXe siècle. À l’origine cette musique était improvisée par des petits orchestres composés d’une part d’instruments à cordes ou à vents : guitare (à six et à sept cordes), bandolim (mandoline brésilienne), cavaquinho (petite guitare à quatre cordes), la flûte, la clarinette, la trompette, l’ophicléide … d’autre part d’instruments de percussion : comme le pandeiro, et le surdo. Il s’agit d’abord d’une manière différente de jouer la Polka. C’est, contrairement au Fado et à la Modinha, un genre presque toujours instrumental. Appelé à ses débuts Polka-lundu, Maxixe, Tango brésilien, ce genre se fixe au début du XXe siècle pour durer. Encore de nos jours un festival a lieu à Rio de Janeiro pour fêter régulièrement des dizaines de nouveaux titres et des formations variées y participent avec des effectifs instrumentaux diversifiés.