Joaquim Antonio da Silva Calado (1848-1880)
Le premier compositeur à écrire des pièces appelées choros fut Joaquim Antonio da Silva Calado (1848-1880), un mulâtre né à Rio de Janeiro dans une famille d’anciens esclaves. Il était un flûtiste virtuose, un interprète d’une grande renommée et le premier compositeur Brésilien à populariser les formes musicales autochtones connues sous les noms de lundu, polca-lundu et maxixe.
En 1870, il forma le groupe “Choro Carioca,” premier ensemble à porter le nom de ce genre musical, l’adjectif “Carioca” étant la désignation courante des habitants de Rio. Le groupe comprenait une flûte, deux guitares et un cavaquinho, instrumentation semblable a celle de la modinha ou des ensembles de “musique de barbiers”. La composition la plus connue de Calado, “A Flor Amorosa,” est considérée par beaucoup comme le premier choro écrit.
Francisca Hedwiges « Chiquinha » Gonzaga (1847-1935)
La première musicienne de formation classique à avoir adopté le style du choro fut Francisca Hedwiges Gonzaga (1847-1935), mieux connue sous le surnom de “Chiquinha”, la petite.
Pianiste, compositrice et chef d’orchestre, Gonzaga fut attirée par les compositions populaires qu’elle entendait jouer par des ensembles de musiciens de rue, dont elle incorpora les rythmes et les éléments harmoniques dans sa musique pour piano et ses chansons. En 1877 elle composa “Atrahente,” désigné comme polka, mais où de toute évidence elle essaya de reproduire le style d’exécution improvisé du choro.
Dans l’évolution de la musique urbaine de danse de Rio de Janeiro, Chiquinha Gonzaga joua un rôle décisif car elle recréa l’essence des choros authentiques en les mélangeant avec les danses européennes de salon en vogue à l’époque.
Elle joua également un rôle important dans la lutte contre l’esclavage au Brésil en collaborant musicalement avec des compositeurs et des interprètes noirs. Son morceau le plus connu est sans doute celui qu’elle composa en 1899 pour la première marche officielle du Carnaval Brésilien, “O abre alas”. Innovatrice dans la musique nationale brésilienne et pionnière de l’autonomie de la femme dans son pays, Gonzaga a été récemment l’objet d’un regain d’intérêt au Brésil pour sa musique et sa vie à l’occasion du 150ème anniversaire de sa naissance.
Anacleto de Medeiros (1866-1907)
Tandis que Chiquinha Gonzaga transposait les sonorités du choro au piano, Anacleto de Medeiros (1866-1907) poursuivait son développement et renforçait sa popularité dans le contexte des orchestres de cuivres ou fanfares. Ainsi, son apport musical majeur fut en tant que fondateur, en 1896, de la fanfare militaire la plus célèbre de Rio de Janeiro, la “Banda do Corpo de Bombeiros”, très appréciée pour la netteté de ses exécutions et pour sa manière unique d’interpréter des morceaux spécialement composés pour le Carnaval. La Banda fut le premier groupe brésilien à enregistrer des rouleaux de musique et des disques pour la toute nouvelle industrie phonographique.
Ce compositeur de valses, polkas et scottishs impressionnait par la qualité de son art, qui alliait la vivacité du choro et le brillant des orchestres de cuivres. Injustement oublié, il fut pourtant celui qui sut systématiser le scottish, ou simplement xotis, qui grâce à lui allait se propager dans tout le Brésil en revêtant des caractéristiques différentes selon les régions.
Ernesto Nazareth (1863-1934)
Parmi les premiers compositeurs de choros, le plus grand et le plus influent fut sans doute le pianiste Ernesto Nazareth (1863-1934), que Heitor Villa-Lobos (1887-1959) lui-même salua comme “la véritable personnification de l’âme musicale brésilienne”.
Si Villa-Lobos, qui avait lui-même composé des choros, est devenu par la suite le plus célèbre des compositeurs érudits du Brésil, son œuvre à ses débuts a été influencée à l’évidence tant par le choro en général que par Nazareth en particulier. La contribution de Nazareth au développement du style musical national du Brésil est inestimable. Ses “tangos brésiliens”, qui n’ont pas grande chose à voir avec leurs contemporains argentins, rappellent en réalité dans leur forme et leur style le maxixe et le choro.
Les œuvres de Nazareth sont encore très souvent jouées de nos jours; elles sont considérées comme les premiers thèmes classiques ou “standards” du répertoire de choro contemporain. Sa composition “Brejeiro”, tout comme le très connu “Tico Tico no Fubá” de Zequinha Abreu, est une des compositions de choro les plus fréquemment enregistrées.
Il est intéressant de signaler également que Nazareth fut le contemporain du compositeur nord-américain de ragtime Scott Joplin (1868-1917), un autre pianiste-compositeur qui sut incorporer avec succès des éléments de musique populaire dans un contexte sophistiqué pour créer un style national.
Pixinguinha (1897-1973)
Alfredo da Rocha Vianna Jr. (1897-1973), connu surtout sous le surnom de “Pixinguinha”, est le compositeur qui fit connaître le choro au grand public, notamment en Europe, le combina au jazz, enrichit l’instrumentation du samba, orchestra les grands succès enregistrés par Carmen Miranda et créa quelques uns des contrepoints les plus sophistiqués de la musique brésilienne dans ses compositions et improvisations. Pixinguinha naquit dans la tradition du choro; son père était un flûtiste respecté qui accueillait fréquemment chez lui des rodas de choro.
En 1919 Pixinguinha forma un des ensembles de choro les plus célèbres, “Os Oito Batutas”. Ce groupe comprenait, dans sa forme originelle, une flûte, deux guitares, une guitare 7 cordes (pour les contrepoints des cordes graves), un bandolim, une bandola (ou bandolim alto), un cavaquinho, un pandeiro et d’autres percussions. L’ensemble était si bon et si demandé qu’il réussit à briser les barrières raciales et se produisit dans le prestigieux Cinéma Palais de Rio.
Son œuvre est d’une remarquable diversité et grand nombre de ses créations font partie des “standards” du répertoire du choro actuel, comme par exemple “Vou Vivendo”, “1 x 0”, “Carinhoso” et “Naquele Tempo”. Pixinguinha était révéré de tous au Brésil en tant que saxophoniste, compositeur et arrangeur; il fut la principale voix du choro pendant la période de ses plus grands succès commerciaux. Le 23 avril, jour où l’on commémore la naissance de Pixinguinha, est devenu au Brésil depuis l’an 2000 la Journée nationale du choro.
Garoto, João Pernambuco et Laurindo Almeida
Lorsque, grâce à la radio le samba et le jazz devinrent plus populaires, le choro connut un certain déclin. Le public perdit l’intérêt pour le style instrumental virtuose, à l’exception des choros joués à la guitare. Dans les années 1930, la guitare avait acquis un public appréciable. Des guitaristes-compositeurs brésiliens tels que João Pernambuco (1883-1947), Garoto (1915-1955), Laurindo Almeida (1917-1995), et Dilermando Reis (1916-1977) enregistrent et publient leurs œuvres pour guitare solo. Ils avaient tous joué dans des ensembles de choro, et leurs compositions gardaient intacte l’authenticité du style musical.
Malgré la désaffection du public, les conjuntos regionais continuèrent à se réunir et à jouer chez des particuliers et dans des clubs locaux. Style le plus populaire de la musique brésilienne pendant près d’un demi-siècle, le choro retrouvait brusquement ses racines “amateur”. Pourtant, le niveau d’exécution musicale n’en fût pas amoindri.Les conjuntos regionais étaient très exigeants avec leurs débutants et, faisant appel à des techniques semblables à celles de “jam sessions” du jazz be-bop aux Etats-Unis dans les années 1940, ils testaient les aptitudes et les connaissances des jeunes aspirants pour s’assurer de leur niveau par rapport à celui du groupe avant de leur permettre de s’y intégrer de façon permanente.
Jacob do Bandolim (1918-1969)
Cette tradition se perpétua et les vieux chorões initièrent une nouvelle génération d’instrumentistes aux complexités du choro. En 1933, un de ces jeunes musiciens, très discrètement et sans espoir de célébrité, joua du choro sur son bandolim pour sa première émission de radio. A 15 ans, Jacob Pick Bittencourt (1918-1969), ou “Jacob do Bandolim” comme il allait être connu, fut à l’origine de la renaissance du choro des années 1940 et débuta une carrière qui allait considérablement épanouir et transformer le genre.
Au même titre que Waldir Azevedo au cavaquinho, et Abel Ferreira à la clarinette, Jacob revitalisa l’exécution et le répertoire du choro, lui donnant un regain de popularité. Dans les années 1960, avec le groupe Época de Ouro il enregistra une série de disques qui allaient devenir de grands classiques, dont l’exceptionnel “Vibrações”, avec la participation notamment d’un grand représentant de l’accompagnement contrapuntique à la guitare 7 cordes, Dino 7 Cordas, qui allait faire école et influencer toutes les générations à venir d’interprètes de cet instrument typiquement brésilien.
Les compositions de Jacob do Bandolim renouvelèrent le style du choro, et dans ses ensembles le bandolim devint le principal instrument solo, remplaçant la flûte. La vitalité rythmique de son jeu et son talent pour l’improvisation mélodique le détachent clairement des instrumentistes du passé. Un grand nombre de ses compositions, comme “Noites Cariocas,” “Assanhado,” “Doce de Coco,” et “Vibrações,” font toujours partie du répertoire de choro actuel.
Après la mort de Jacob, en 1969, le groupe se défit pendant quelques années, jusqu’au fameux concert “Sarau” donné en 1973 sous la houlette du guitariste du groupe, Cesar Faria, et de son fils Paulinho da Viola, qui marqua la redécouverte do choro dans les années 1970. Plusieurs des anciens de la formation originelle, comme César Faria, Dino 7 Cordas et Jorginho do Pandeiro continuent à jouer aujourd’hui.